Un peu de poussière de chair, la nuit (1998-1999)

Une expérimentation autour de La Chanson de la main de Yan Allegret

Créé sur deux ans en 1998-99 en plusieurs étapes, Un peu de poussière de chair, la nuit constitue un tournant dans notre recherche. Il s’est agi avec ce projet d’expérimenter une relation inédite au spectateur et au spectacle.

La soirée se déroulait en quatre temps. Un petit musée du spectacle rassemblait des traces des répétitions: enregistrements sonores, vidéos, photos, livres, peintures qui ont directement ou indirectement nourri les répétitions, cette matière qui infiltre le spectacle, le raconte, le traverse.

La soirée se poursuivait par la mise en scène de Clyde Chabot du texte La Chanson de la main de Yan Allegret. Cette pièce retrace la vie d’un être fragile, sorte d’oiseau tombé du nid, et sa relation trouble avec une femme, amante, mère ou sœur, on ne sait pas. Il est seul sur le plateau, les yeux écarquillés, resté comme tel depuis le départ ou la disparition de la femme de sa vie. La figure féminine disparue revient, lointaine, sur le plateau comme violoncelliste et bricoleuse sonore.

De nouvelles pistes de mise en scène ont été explorées à chaque étape de création.

Dans un troisième temps, les spectateurs étaient conviés à proposer des directions de jeu sur quelques extraits de la pièce. Un acteur, une musicienne, l’auteur et un vidéaste répondaient aux propositions. Partant de sa position traditionnelle, le spectateur était invité à entrer dans la machine théâtrale que nous avions imaginée pour lui et dont les portes s’ouvraient pour un moment de partage et d’inventivité collective.

La soirée se terminait par une discussion avec les spectateurs, moment essentiel de rencontres et d’écoute.

COPRODUCTION

Centre d’Art et d’essai de Mont Saint Aignan/ Comédie de Caen – CDN de Caen, Office Artistique de la région Aquitaine

DISTRIBUTION

Texte : Yan Allegret
Mise en scène : Clyde Chabot
Scénographie : Ghislaine Herbéra
Lumières : Pierre Zach
Jeu : Eric Antoine, Elodie Brémaud, Cyril Alata (vidéo) et Yan Allegret (écriture en direct)
Assistante à la mise en scène : Séverine Batier

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EXTRAIT DE TEXTE

Il ouvre les yeux.
De l’eau chaude et blanche se déverse sur lui. Sauvage et rapide.
Comme un torrent. Inonde les deux fentes taillées dans son visage.
Il pousse un cri. Juste un son. Pas un mot.
S’il avait du dire un mot à ce moment précis, si on l’avait forcé à dire des mots, comme on l’avait forcé autrefois, il aurait sans doute dit, tout comme il avait dit autrefois:
« Je vais bien. Ne vous occupez pas de moi. Je vais bien. »
Il voudrait refermer les yeux; plisser les paupières le plus fort possible, sans un mot, et attendre que l’eau blanche s’assèche comme elle le fait toujours.
Car l’eau blanche apparaît et disparaît, comme une vague du ciel, immense et calme, qui noie le monde et qu’y s’en retire sans que l’on puisse jamais savoir pourquoi.

EXTRAITS DE PRESSE

Proposition de théâtre ” Auparavant spectateur passif et extérieur au théâtre, on peut dès lors devenir animateur de cette machine que la compagnie offre à nos désirs avec une immense générosité. A chacun d’en faire bon usage. Si une proposition peut échouer, les moments de grâce ne demandent qu’à surgir. Une étrange alchimie peut naître de ces contacts inopinés, de ces relations entre inconnus. L’essence du théâtre n’est-elle pas dans cet engagement partagé, dans cette reformulation permanente, dans l’enrichissement infini auquel contribue toute personne qui accepte de jouer le jeu ? ”

Livre/Echange n° 10, mai 1999 + Voir l’article

La Séquence du spectateur “ Brouillage délibéré. Il n’y a pas de point focal dans La chanson de la main. L’halluciné (Eric Antoine) qui profère ce monologue saccadé, comme le Benjy du Bruit et la fureur, est comme absent à lui-même. Il incarne dans un à côté les mots, synchrone ou en léger décalage, qu’un regard sans cesse distrait lit aussi sur l’écran derrière lui ou sur son visage en gros plan sur la télé. Elodie Brémaud, la violoncelliste, égrène parcimonieusement des stridences à l’archet ou se livre corps et voix à quelques contorsions obscures et sidérantes. Toute cette construction sophistiquée anime une mécanique sciemment brouillée, incomplète et perturbée, propre à stimuler un désir de recomposition.

Jeu inédit. Il s’ébauche petit à petit un jeu inédit, qui n’a rien à voir avec un gadget interactif. Pas de pornographie chez l’acteur livré au désir de chaque individu. Pas de volonté de provocation gratuite du côté du public. Ce qui se manifestait là, par bribes, dans l’inachèvement, les maladresses, les jeux formels et esthétisants, c’était la surprise de voir immédiatement incarnée une image mentale et de la montrer aux autres. En démontant méthodiquement le processus de la représentation, incluant l’avant et l’après, Clyde Chabot explore une piste inattendue dans l’histoire du rapport scène salle. “

Alain Dreyfus, Libération 18 février 1999 + Voir l’article

Entrées (entrez) “ Si j’essaie d’analyser le plaisir évident pris ce soir là, il est clair qu’il était lié à cette posture nouvelle, qui était celle du joueur. Il y avait un plaisir enfantin à savoir que je n’étais plus simplement spectateur mais participant actif, ou susceptible à chaque instant de l’être (cela ne dépendait que de moi) de l’expérience. Le spectacle se faisait jeu. Il est plus difficile de parler du plaisir pris, au-delà de cette attente active, qui était déjà du jeu, se superposant à celui qui avait lieu sur le plateau lorsque je suis intervenu – un plaisir sans doute tout aussi enfantin mais de nature plus intime encore : celui de voir se réaliser sur le corps du comédien, dans l’immédiateté de l’instant, à peine formulé un désir, ce désir ; si imparfaitement que cela fût, de le voir prendre corps… “

Joseph Danan, Réseaux de conduite n°2, juin 1998